L’ Ayahuasca, substance psycho active ?

Publié le par ati dion

090220_ayahuasca_tea.jpgtiré de : http://www.cuwish.org/ayahuasca_fr.htm

Par German Zuluaga R.

(Conférence donnée lors d’un séminaire international d’ethnomédecine tenu à l’Université El Bosque de Bogota en Colombie)

Introduction

La pharmaco dépendance est un grave problème qu’affronte l’humanité actuelle. Dans les dernières années on a pu observer le marché croissant de diverses substances. Premièrement les plantes dites hallucinogènes et ensuite certains principes actifs obtenus par synthèse chimique. Récemment, il est apparu dans le panorama régional de l Amérique du Sud l’usage d’un breuvage d’origine végétal connu sous le nom d’« ayahuasca » ou « yagé ». Depuis des siècles, les Indiens du Nord-Ouest amazonien utilisent cette plante qu ils considèrent comme leur plante sacrée au moyen de laquelle ils ont élaboré un système de connaissance en relation avec l’environnement, la santé et la réalité culturelle.

Les chroniqueurs, les explorateurs, les anthropologues et les ethno botanistes avaient déjà décrit cette substance. Et maintenant nous sommes témoins du « boom » de l'ayahuasca dans les grandes villes sud-américaines dû en partie à ce que de nombreux indigènes et métis, guérisseurs ou non, en font usage pour offrir des cérémonies rituelles et thérapeutiques. Ses effets surprenant attirent l’attention des gens, bien qu ils n’aient aucune connaissance de la signification de son usage et du contexte authentique dans lequel il s’est développé durant des siècles.

Avec la mode de l’ayahuasca sont apparus des charlatans indigènes et métis, des tendances new age et des modes ésotériques et pseudo scientifiques. La plupart s’emploient à l’offrir pour des fins lucratives la dépouillant de son sens authentique et la proposant comme une plante psychédélique. Il est surgi alors une préoccupation due à l’emploi inconsidéré et croissant de l’ayahuasca, à savoir si sa consommation a des connotations de pharmaco dépendance et si elle peut produire des dérangements psychologiques chez ceux qui se hasardent à « vivre l’expérience ».

Dans cette conférence nous voulons réviser l’historique de l’usage de l’ayahuasca et établir un cadre conceptuel pour comprendre sa valeur réelle, son importance comme partie d’une médecine traditionnelle indigène solide et les raisons pour lesquelles elle est considérée, de manière équivoque, comme une substance psycho active comportant des risques d’addiction et une pathologie psychiatrique.

Historique des plantes psycho actives

L’histoire de l’homme primitif a été liée à la consommation de certaines plantes dites psycho actives, surtout dans des contextes rituels et cérémoniels. Cependant, nous en savons très peu sur le comment ils sont arrivés à connaître les propriétés de ces plantes et encore moins sur le pourquoi ils ont voulu les employer. Depuis environ deux cents ans, l’ethnographie d’abord puis les sciences sociales en général, ont abordés l’étude du phénomène connu sous le nom de chamanisme. Il s’agit d’un curieux système de croyances, de rituels et de pratiques qui ont été présents dans presque toutes les cultures du monde.

Le mot chaman désigne un personnage qui a des caractéristiques de prêtre, médecin et sorcier qui était chargé dans les sociétés primitives de l’organisation matérielle, sociale, culturelle et spirituelle de ces communautés. Il y a des indices sérieux qui démontrent qu’à l’origine de presque tous les peuples de la planète a existé le phénomène du chamanisme et l’usage des plantes psycho actives. Nous connaissons le champignon Amanita muscaria dans le centre et le nord de l’Asie et en Amériques du Nord; l’iboga a été la plante principale des peuples du centre de l’Afrique; différentes espèces de datura, la jusquiame, le stramoine ont fait parti du patrimoine des premiers hommes du bassin méditerranéen ; le cannabis est une plante originaire du Proche-Orient tandis que l’opium fut connu depuis des temps immémoriaux en Inde et en Chine.

En Amérique, il se manifeste encore l’usage courant de ce type de plantes parmi les Indiens, les plus connus étant la coca, le peyotl, le yagé, le don diego, des variétés de borachero, la virola, le tabac et le yopo. Actuellement il existe un consensus sur l’importance qu’avait l’usage des plantes psycho actives pour les peuples primitifs en rapport avec la connaissance et la manière de manipuler la réalité. On affirme aussi que le chamanisme et les plantes psycho actives ont constitués la première forme de connaissance. Ce sont des plantes qu’on considère « sacrées », cadeau du monde mythique des esprits et instruments précieux pour connaître les mondes visible et invisible.

« L’indien n’oserait jamais utiliser ces plantes en dehors de l’espace cérémoniel et sacré qu’elles requièrent. Cela nécessite un entraînement long et ardu pour être en mesure de dominer leur puissant effet. Et leur préparation pour consommation rituelle nécessite une grande rigueur et s’accompagne toujours d’une attitude de respect craintif. Il s’ajoute l’usage averti de chants et danses, souffles et conjurations afin d’obtenir que le rude effet toxique soit remplacé par une purification et un nettoyage authentiques. On veut faire en sorte aussi que la fausse hallucination se convertisse en un véritable chemin vers la connaissance et la guérison ».

L’évolution historique des cultures a presque toujours progressé vers l’abandon de la consommation des plantes psycho actives. Non seulement on a cessé de les utiliser, mais elles furent cataloguées comme plantes démoniaques, toxiques et interdites à l’être humain. Cependant, à toutes les époques, l’homme a recherché des expériences psychédéliques que ce soit pour des raisons d’échappatoire et de récréation ou bien pour des raisons métaphysiques, spirituelles ou artistiques. Dans la culture occidentale, avec le positionnement définitif de la pensée rationnelle, a débuté un mouvement dirigé surtout par des artistes qui cherchaient la redécouverte des plantes psycho actives.

Des personnages comme Valérie, Rimbaud et Beaudelaire firent un usage copieux de l’opium pour rechercher de nouvelles inspirations dans leur art. En 1935, Antoine Artaud, le grand philosophe français et auteur de théâtre, a eu une expérience importante avec les indiens Tarahumara du Mexique lesquelles consomment le cactus du désert connu sous le nom de « peyotl ». Gordon Wasson a fait la première étude systématique sur les champignons psycho actifs et leur usage rituel chez distincts peules du monde. En 1953, le pharmacien suisse Albert Hofmann synthétisa, pour les Laboratoires Sandos, l’acide lysergique (LSD).

En collaboration avec l’historien de la Grèce Antique, Carl Ruck, il découvrit aussi que dans les racines de la culture grecque, dans les textes de l’Iliade, de l’Odyssée et toute la mythologie en général, on pouvait suivre la trace de l’usage d’un champignon dérivé de l’ergot. À la même époque, Wasson et le botaniste Peter Furst découvrirent, dans les racines des écritures des Vedas, les textes les plus vieux de l’Indes, qu’il y est aussi question de l’usage d’un champignon psycho actif. Plus tard l’anthropologue Castaneda, dans son œuvre volumineuse mêlée de fiction, a fait l’apologie de l’usage du peyotl et du datura chez les Indiens du Mexique. Peu à peu le thème des plantes psychédéliques inonda la réflexion académique des sciences sociales et botaniques.

Entre-temps, les cultures occidentales se confrontaient à l’abus de la consommation de certaines plantes. Tout d’abord en Angleterre avec la culture et le commerce de l’opium fait dans les colonies du sud-est asiatique, et ensuite aux États-Unis avec la fameuse loi de 1913 par laquelle on avait déclaré l’alcool illégal alors qu’on permettait l’usage du cannabis et du tabac.

Dans les années 60 est apparu le fameux mouvement hippie qui favorisa la généralisation de la consommation de la marihuana et, un peu plus tard, celle du LSD et autres dérivés chimiques : la morphine et l’héroïne, la cocaïne, les amphétamines et les extasis un des derniers arrivés.

Les peuples de l’ayahuasca


Depuis la découverte de l’Amérique, les chroniqueurs et les missionnaires ont observé, parmi les peuples aborigènes, la consommation de plantes psycho actives variées. Dans ses premiers voyages Christophe Colomb relate l’usage du tabac chez les indiens Caraïbes; Hernan Cortés celui de la coca parmi les peuples des plateaux andins du Pérou et Jimenez de Quesada chez les Muiscas de la savane de Bogota. Avec le temps on a identifié beaucoup d’autres plantes stimulantes et rituelles sur le sol américain. Malgré le fait que nous ayons retrouvé des descriptions fragmentaires de l’usage de l’ayahuasca chez les autochtones du piémont amazonien d’Amérique du Sud, sa description complète s’est réalisée seulement à la fin du 19e siècle et plus tard au 20e grâce à l’apport des anthropologues, des ethnobotanistes et des naturalistes. Maintenant, depuis près de 30 ans, nous avons une connaissance plus détaillée de cette plante et de son usage rituel quoique partielle et remplie de préjudices.

L’ayahuasca est un breuvage que les Indiens préparent à partir d’une liane amazonienne Banisteriopsis spp. qu’ils combinent avec d’autres plantes. Il y a plus de six espèces connues toutes utilisées dans le même but. En Colombie et dans le Nord de l’Équateur on préfère les feuilles du Diplopteris cabrerana alors qu’au Sud de l’Équateur, au Pérou et au Brésil prédomine un mélange avec le Psychotria viridis. Aussi bien les plantes qui servent de matière première, que le breuvage final, ont des noms distincts dépendant des ethnies : ayahuasca et ambiwasca chez les groupes de langue quechua; yagé chez les Sionas, les Secoyas et les Cofanes; natema chez les Shuar; et caapi chez les populations Tukano à la frontière entre la Colombie, le Pérou et le Brésil.

À l’état sylvestre, ces plantes ne se rencontrent que dans le piémont amazonien et pas ailleurs. Mais de nos jours on peut les retrouver en culture en Amazonie brésilienne, dans la jungle du Choco Biogéographique et de façon isolé dans des jardins botaniques et des collections d’autres régions latino américaines incluant les États-Unis. C’est pour cette raison que son usage se limite seulement aux peuples indiens du piémont amazonien : a) Ingas, Kamtzá, Sionas, Coreguajes, Cofanes et Tukano Oriental, en Colombie ; b) Tsachila, Sionas, Secoyas, Cofanes et Shuar, en Équateur, c) Lamas, Chasutas, Aguarunas, Ashuar, Mashihuengas et Ashanikas, au Pérou. Tous ces groupes indigènes, malgré leurs différences linguistiques, partagent un environnement semblable de même que dès processus de production traditionnels, des cosmovisions, des coutumes et surtout l’usage de cette plante sacrée. C’est pourquoi l’anthropologie les considère comme « les peules de l’ayahuasca »

Utilisation rituelle de l’ayahuasca


L’ayahuasca, plante sacrée, fût utilisée durant des siècles dans des rituels collectifs guidés par le chaman de la tribu mais avec l’arrivée des conquistadores et des missionnaires, son emploi fut éradiqué chez plusieurs populations. Cependant quelques tribus ont maintenu son usage en secret ou l’ont fondu dans des pratiques religieuses qui le faisaient paraître moins suspect pour les européens. Le contexte chamanique a changé et la consommation de l’ayahuasca de manière rituelle ou religieuse est passée au second plan. Aujourd’hui on le prend surtout dans un contexte médical. En effet, les chamans se disent maintenant médecins traditionnels et sont reconnus comme des grands guérisseurs et des experts dans les plantes médicinales. Ils emploient l’ayahuasca dans des cérémonies rituelles thérapeutiques plutôt que religieuses et, grâce à l’effet de la plante, ils parviennent à diagnostiquer et à traiter plusieurs maladies.

Même si toute la communauté peut participer à la cérémonie et prendre l’ayahuasca, l’intention première est de promouvoir la santé et la guérison des malades de qui on exige préalablement une préparation très strictes : non consommation de certains aliments, abstinence sexuelle, exercices ascétiques, purification avec des plantes amères, vomitives et dépuratives, etc. Le chaman revêt son habillement traditionnel de cérémonie incluant colliers, hochets, couronnes de plumes et utilise d’innombrables substances et objets qui lui confèrent une autorité d’expert par rapport à lui-même, le malade et tous les participants.

Au moyen de chants, d’instruments de musique et de danses traditionnelles, le chaman va obtenir l’effet recherché. Pour le chaman et les Indiens, l’ayahuasca est surtout une plante médicinale : c’est le remède par excellence et la façon de travailler est basée sur une purge intégrale de l’organisme. Des réactions de vomissements, de diarrhées, sueur, augmentation de la diurèse (sécrétion de l’urine) et d’autres effets dépuratifs sont les caractéristiques physiques normales dans le soin chamanique. Elles confirment son action purgative.

Un fait étonnant c’est que l’effet purgatif touche aussi d’autres aspects de la personne : il produit des visions, des sensations, des réflexions et des souvenirs, presque toujours en relation avec l’état de santé et spécialement en rapport avec la maladie que l’on cherche à soigner. Pour le chaman, ceci fait partie du traitement et démontre son pouvoir de guérison intégral. Cependant, il semble que depuis les temps précolombiens, quelques uns des peuples de l’ayahuasca ont maintenu des échanges commerciaux et de connaissances avec les peuples voisins. Dans une activité de transhumance, les chamans et les herboristes parcourent de grandes distances en apportant avec eux des plantes et des médecines et offrent des soins aux gens des villages et des villes. Cette coutume a généré un « réseau de soins » que l’on observe encore dans le bassin amazonien des pays andins.

Vêtus de leurs costumes typiques, ils opèrent de petits étalages de plantes médicinales sur les marchés publiques, dans les foires artisanales et les zones commerciales des villes en même temps qu’ils offrent des cérémonies de guérison avec l’ayahuasca. Cette activité, que l’on observe entre autres, chez les Indiens Sibundoyes de Colombie, a donné lieu à deux phénomènes :

a) des séances de soins personnels sans la participation collective de la communauté du patient, et b) le début d’activités commerciales à fins lucratives de la part de beaucoup d’indiens et de métis qui se font passer faussement pour d’authentiques chamanes.

Depuis les temps précolombiens existe la notion d’ « indien de la jungle », puissant et craint pour ses grands pouvoirs occultes, pour ses capacités de soigner et sa connaissance intime des secrets de la nature. Aujourd’hui plusieurs utilisent cet archétype, sans autorisation ni aucune légitimité, pour offrir des services de soins.

Les nouvelles formes d’usage de l’ayahuasca

La connaissance de l’ayahuasca dans le monde moderne et ses effets surprenants ont attiré l’attention, non seulement des scientifiques, mais aussi de plusieurs autres personnes qui veulent profiter de son potentiel pour des raisons diverses dont plusieurs sont bien différentes des valeurs authentiques propres au monde indien :

1. L’utilisation de l’ayahuasca par des métis, des paysans et des hommes blancs de tout acabit qui habitent dans le piémont amazonien. Cette mutation a provoqué le phénomène du « curanderismo » que l’on peut observer principalement dans les villes d’Iquitos et de Pucalpa au Pérou, Tena et Pastaza en Équateur ou de Mocoa en Colombie. Ces soigneurs, indiens ou non, voyagent fréquemment dans les grandes villes. De manière générale, ceux-ci ont participé à des sessions rituelles avec des Indiens et quelques uns d’entre eux ont suivi un processus formel d’apprentissage. Cependant, leurs pratiques n’embrassent pas toute la connaissance originelle des Indiens et incluent souvent des techniques et des concepts empruntés à d’autres latitudes (spiritisme, magie noire et magie blanche, ésotérisme, techniques new age ou des récentes médecines alternatives).

2. L’usage de l’ayahuasca dans des pratiques de syncrétisme religieux, surtout originaires du Brésil, comme dans les églises connues sous les noms de Santo Daime, Uniao do Vegetal, A Barquiña, etc.). Dans ces cas, on conserve le contexte religieux ou mystique qu’évoque la consommation de la plante, mais on a laissé de côté, presque en totalité, l’utilisation de plantes complémentaires et la cosmovision originelle des Indiens. De plus, la musique et les chants chamaniques, qui sont des techniques d’invocation des forces de la nature, ont été transformés en mantras, prières, psaumes et oraisons ayant un contenu exclusivement religieux et philosophique. Nous pouvons affirmer qu’ici l’ayahuasca a été extirpé de son contexte chamanique pour être intégré définitivement dans une forme néo-religieuse.

3. L’usage de l’ayahuasca dans des programmes de recherches scientifiques. Ce peut être pour la recherche de substances pharmacologiques actives, pour élucider certains problèmes de physiologie cérébrale ou encore pour usages thérapeutiques par des médecins occidentaux. On peu mentionner, ente autres, les programmes dirigés par le « Centre d’Expérimentation en Toxicomanie » a Tarapoto (Pérou), les travaux de recherches pharmacologiques du neuropsychiatre chilien Caludio Naranjo, ou encore les travaux en encéphalographie du groupe interdisciplinaire dirigé par l’anthropologue catalan Josep Fericgla.

4. Dans les dernières années est apparue la mode très répandue du « New Age » et du néo chamanisme dont l’origine réside dans la recherche de nouveaux paradigmes religieux et médicaux. Il est fréquent de rencontrer des hommes qui s’auto proclament chamanes et qui ont des écoles d’initiation ou d’enseignement et qui pratiquent dans différentes villes latino américaines et aux États-Unis. Les expériences de deux anthropologues controversés ressortent: Michael Harner et Carlos Castaneda. Ceux-ci, après avoir œuvrés comme chercheurs formels et académiques et avoir eu un contact étroit avec les cultures indiennes, se sont transformés en maîtres des techniques chamaniques. La revue mensuelle « Shaman’s drum » est bourrée d’informations sur des écoles et des centres de néo chamanisme faciles d’accès pour l’homme blanc. Se nouveau phénomène ne peut pas être défini au sens strict comme une nouvelle pratique religieuse ou une nouvelle pratique médicale. On doit voir ça dans le contexte d’un nouvel humanisme philosophique bien qu’il soit toujours à suspecter les intérêts de nature économique et mercantiles.

5. Et finalement, avec l’essor des expériences psychédéliques dans le monde occidental, plusieurs personnes souhaitent faire l’expérience de l’ayahuasca dans le seul but d’expérimenter les sensations hallucinatoires que procure cette plante. Certains veulent une expérience « authentique » alors ils se mettent à la recherche de « vrais chamanes », alors que d’autres font affaire avec n’importe qui de l’entourage soi disant compétent pour ce faire. Il est facile aujourd’hui de se procurer une bouteille d’ayahuasca par Internet. Et il s’organise, à partir des États-unis et d’ailleurs, des voyages en Équateur, au Pérou et au Brésil dans le seul but d’aller consommer cette substance guidés par un prétendu chaman au service d’une agence de voyage.

Ces nouvelles modalités ont comme dénominateur commun l’abandon partiel ou total du contexte originel de l’usage de l’ayahuasca. Même si ce sont des expériences qui peuvent procurer quelques bénéfices d’ordre physique ou psychologique, ils délaissent d’autres éléments que les Indiens intègrent pour que le résultat soit réellement thérapeutique.

Pour les Indiens, le thème de l’ayahuasca n’est pas seulement l’affaire d’une plante puissante, sinon qu’il fait partie d’un système plus grand et plus complexe de connaissances et de pratiques traditionnelles de santé. C’est pourquoi l’apprentissage du chamanisme est exigeant, ardu, et peut prendre de 10 à 20 années. Il s’agit d’étudier aussi la cosmovision, les niveaux de réalité, les plantes médicinales, les chants et les danses cérémoniels et le contrôle rigoureux des effets incommodes des plantes sacrées.

Les non Indiens valorisent seulement le breuvage ayahuasca. Les Indiens, eux, sont habitués à utiliser, en plus, d’autres plantes curatives comme le yoco, l’ortie, le tabac, etc. sans lesquelles il est inconcevable, pour eux, que la cérémonie de guérison puisent apporter les bénéfices espérés. Les non Indiens font une profanation de l’ayahuasca. Ils ne voient que l’aspect profane d’une préparation de plante et les effets des principes actifs extraordinaires qu’elle contient. Pour les Indiens elle continue d’être une plante sacrée en relation avec un système compliqué et confus de relations avec l’environnement naturel, la conception de santé et de maladie et d’autres techniques complémentaires qui permettent de découvrir le potentiel authentique de leur médecine traditionnelle.

Que savons-nous de l’ayahuasca?

En plus des recherches botaniques sur les plantes qui sont employées pour préparer le breuvage, on a réalisé des analyses phytochimiques et pharmacologiques exhaustives de l’ayahuasca. Et une des plus grandes énigmes pour les scientifiques occidentaux c’est cette extraordinaire combinaison chimique de deux plantes pour produire un effet espéré.

Comme nous avons vu, l’ayahuasca est préparé à partir d’une décoction de liane, Banisteriopsis spp. à laquelle on ajoute les feuilles de d’autres plantes comme le Diploteris cabrena et le Psychotria viridis. Les feuilles de Diploteris cabrena et de Psychotria viridis possèdent des principes actifs triptaminiques parmi lesquels le plus connu est la dimetiltriptamine, un neurotransmetteur important pour les fonctions du système nerveux central. Le problème est que cette substance chimique ne peut pas être absorbée par voie digestive parce qu’une enzyme, présente dans les parois de l’estomac et de l’intestin grêle, la monoamine-oxydase, l’inactive. Ce qui est étonnant, c’est de constater que l’autre plante, la liane Banisteriosis spp, contient une substance qui attaque l’enzyme (monoamine-oxydase) ce qui l’empêche d’inactiver la triptamine contenue dans la première plante. Donc cette substance spéciale est l’inhibiteur de la monoamine-oxydase ce qui permet que la triptamine soit absorbée et puisse agir dans le sang et dans les tissus humains.

Comment les Indiens ont-ils pu, il y a des siècles, découvrir une combinaison chimique si extraordinaire et si parfaite sans avoir de connaissance en chimie et la technologie nécessaire. Je le répète, ceci demeure un des grands mystères de la science moderne. Ce sont ces principes actifs triptaminiques qui expliquent les effets psycho actifs de l’ayahuasca avec des changements physiologiques de la perception, du jugement et du raisonnement. C’est pourquoi l’ayahuasca et ses plantes constituantes ont été qualifiés d’hallucinogènes. Il reste encore beaucoup d’énigmes à résoudre et la science s’est retrouvée réduite à seulement essayer d’expliquer le complexe de l’utilisation de l’ayahuasca :

1. Nous devons faire la différence entre transe et hallucination. L’hallucination est considérée, en psychiatrie, comme un symptôme pathologique caractérisé par des changements désordonnés des fonctions du système nerveux. Ce symptôme pathologique peut être le résultat de maladies comme la schizophrénie. Il peut être produit aussi par des intoxications internes (cirrhose hépatique, insuffisance rénale, etc.) ou encore causé par des intoxications externes (excès de substances dopantes, certains médicaments pour le Parkinson par exemple et la consommation de plantes et substances hallucinogènes) Par contre, la transe a d’autres connotations. On ne la considère pas en soi comme une distorsion pathologique car il y a cohérence.

En effet, dans la transe il n’y a pas la perte des relations espacio temporelles et, surtout, il y a une intentionnalité et une technique précise qui permet son apparition. La transe peut-être comprise comme étant un changement volontaire de la conscience ordinaire dans le but de connaître la réalité sous une autre perspective. L’histoire de l’humanité a été caractérisée par la recherche de la transe qui peut s’atteindre par deux voies :

a) endogène, c'est-à-dire moyennant des pratiques ascétiques de prières, mantras, danses rituelles, veilles, jeûnes, mortification, abstinence sexuelle, hypnose, psycho analyse, et diverses activités propres à la recherche mystique et religieuse de toutes les cultures, et

b) exogène, moyennant la consommation de plantes spéciales, lesquelles utilisées dans un contexte adéquat avec une préparation rigoureuse et une série de techniques connues, permettent d’obtenir le changement de la conscience ordinaire.

Il est possible cependant que l’utilisation de l’ayahuasca en dehors de son contexte puisse produire des effets hallucinogènes caractérisés par de l’incohérence et une pathologie des perceptions. Mais, en accord avec la leçon que nous donne les Indiens, si on l’utilise dans le contexte approprié en respectant toutes les règles inhérentes à son usage, la transe se produit et tout particulièrement une transe propice au soin des maladies.

2. Les recherches chimiques et pharmacologiques se sont concentrées exclusivement sur le contenu de principes psycho actifs et leurs répercussions sur le système nerveux central. Mais le breuvage ayahuasca contient plusieurs autres principes chimiques actifs et produit plusieurs autres réactions qui, pour l’Indien, font parti de son effet. Ce n’est pas fortuit que l’ayahuasca soit amer et qu’il produise de fortes réactions de purgation par une action concrète sur le système nerveux autonome, particulièrement sur le parasympathique. Certaines études isolées ont révélé que l’ayahuasca a aussi des propriétés cholagogues, anti-dépressives, anti-inflammatoires et anti-histaminiques. L’Indien ne consomme pas l’ayahuasca pour avoir des expériences psychédéliques ; le plus important pour lui c’est son effet médical et purgatif. Le psychédélique est juste une petite composante qui s’ajoute au processus thérapeutique global.

3. Il ne s’est rien dit, ou très peu dit, sur l’effet de l’ayahuasca prenant en compte les éléments complémentaires des techniques chamaniques. Les chants, par exemple, sont des techniques extraordinaires de modulation de l’action psychotrope de la plante. Les chamanes, durant leur long apprentissage, apprennent une grande quantité de mélodies et de chants, chacun ayant son pouvoir propre, en harmonie avec les réactions organiques et psychologiques du patient. Il va utiliser aussi les feuilles d’ortie qu’il va passer sur le corps du patient pour atténuer les effets ennuyeux de l’ayahuasca. Moyennant les fumigations et la pulvérisation par le souffle de liquides aromatiques, le patient ressent une sensation de tranquillité. Et grâce à l’usage d’un autre breuvage préparé avec des plantes fraîches de la jungle, le chaman peut augmenter ou diminuer le temps d’action de l’ayahuasca.

Je le répète encore, pour les Indiens la consommation de l’ayahuasca n’est pas juste la question d’ingérer une plante. C’est un ensemble de techniques précises dans le but d’obtenir la guérison des malades. Comme la science occidentale ne comprend rien à cette complexité, nous resterons loin de pouvoir comprendre toute la plénitude de la médecine indigène traditionnelle dont l’ayahuasca n’est qu’un élément. Un élément très important, bien sûr, mais il y en a beaucoup d’autres.

L’ayahuasca est-elle une substance psycho active?

C’est la question principale du présent exposé et il n’est pas facile d’y répondre. Si, par le mot « psycho actif », nous voulons nommer une substance possédant des principes chimiques qui agissent sur le système nerveux central, oui l’ayahuasca est un psycho actif. Mais si par ce mot nous voulons exprimer que c’est un hallucinogène, la réponse dépendra du contexte de son usage. Ce n’est pas un hallucinogène si son utilisation se trouve emboîtée dans un système traditionnel de santé qui comporte des conditionnements physiques, sociaux et culturels bien spécifiques.

Une question est celle-ci : Quels sont les dangers ou les problèmes possibles si on utilise l’ayahuasca en dehors du contexte indigène?

Nous allons mentionnés quelques-uns des plus connus :

1. Quand son usage se fait dans un contexte qui prétend imiter les formes traditionnelles des chamans, même si la préparation du breuvage est adéquate, on doit s’attendre à ce que l’ayahuasca ne produise pas les mêmes bénéfices thérapeutiques. Au mieux, il procurera un effet de purgation et de nettoyage de l’organisme et quelques perceptions psychédéliques sans trop de cohérence. C’est comme prendre des médicaments de pharmacie sans une prescription médicale adéquate.

2. Quand on l’emploie dans le but exclusif d’avoir des expériences psychédéliques, ça peut se comparer à la consommation de plantes comme la marihuana ou de substances comme le LSD. On pourra expérimenter « des voyages » avec des perceptions inhabituelles, hallucinatoires, avec parfois un certain degré de cohérence, de l’hilarité, des réflexions profondes. Mais aussi on pourra avoir de « mauvais voyages » ayant des effets nocifs sur la psyché. Dans tous les cas la personne subira de fortes réactions purgatives ce qui peut être indisposant et indésirable quand on consomme dans un contexte récréatif.

3. Si on administre l’harmaline, (nom que l’on donne à la principale substance psycho active de l’ayahuasca) comme on a commencé à le faire dans quelques centres de recherches expérimentales en Europe et en Californie, nous nous retrouvons avec un succédané du LSD. Alors les effets et les dangers sont identiques au LSD et presque toujours nocifs. De toute manière, là nous nous sommes complètement éloignés des fondements thérapeutiques de la médecine indienne.

4. Finalement, les chamans authentiques manifestent un grand discernement sur qui peut prendre l’ayahuasca. Ils évaluent l’état de santé du patient, ses antécédents psychologiques, le type de maladie dont il souffre et la pertinence de lui faire prendre ou non le breuvage. Il est fréquent que la personne participe à la cérémonie de guérison sans qu’elle ait à prendre l’ayahuasca mais profitant tout de même des autres éléments thérapeutiques de la session. Dans d’autre cas, le chaman prépare le patient préalablement avec des plantes, des bains et autres techniques parfois même durant plusieurs jours, plusieurs semaines et même plusieurs mois avant de lui offrir l’ayahuasca. Dans une même séance collective, le chaman va varier la dose d’ayahuasca dépendant de chaque patient. De plus, il est fréquent d’observer que, dans la même séance et à dose égale, des personnes ont de fortes expériences de transe et de purgation alors que d’autres expérimentent à peine un léger mal être corporal et l’envie de dormir. Ce sont là toutes des variables connues dont le chaman a une connaissance experte. Nous pouvons affirmer que le chaman est un véritable scientifique de la médecine de l’ayahuasca.

Une autre question que nous pouvons nous poser : Est-ce que l’ayahuasca, utilisée dans le contexte indigène, est toxique?

Les premiers chroniqueurs, naturalistes et ethnobotanistes, ont décrit l’ayahuasca comme une plante toxique parce qu’ils ont observé que ceux qui la consommaient avaient des réactions de vomissement, de diarrhée, de sudation et autres symptômes classiques d’intoxication. Mais, paradoxalement, pour les Indiens ces effets ne sont pas le produit d’une intoxication mais au contraire ils reflètent le caractère désintoxiquant et nettoyant des plantes.

Et tous ceux qui ont eu la chance d’avoir vécu l’expérience authentique avec des chamans de l’ayahuasca sont unanimes pour affirmer, que le jour suivant la prise d’ayahuasca, ils ont senti leur corps beaucoup plus léger et avec une sensation de santé et de bien-être extraordinaire. L’ayahuasca ne provoque pas d’effet de toxicité aigu. Pour les chamans et les membres des communautés indiennes qui sont habitués de prendre l’ayahuasca depuis plusieurs années, il n’y a pas non plus d’évidence de toxicité ou d’effets secondaires. Au contraire, nous avons pu observer que dans les communautés du piémont, l’état de santé de ceux qui ne participent pas à la médecine traditionnelle indigène et ne prennent pas l’ayahuasca, se détériore plus facilement et plus rapidement.

La majeure partie des quelques cinquante chamans qui font parti de l’Union des Médecins Indiens Yageceros de l’Amazonie colombienne ont plus de 65 ans et sont en parfaite santé. Sauf peut-être quelques-uns qui souffrent de malnutrition à cause des dérangements provoqués par la colonisation, et d’autres affectés par l’alcoolisme.

En résumé, la consommation chronique de l’ayahuasca, dans un contexte adéquat, ne produit aucune toxicité. Et la dernière question est : Est-ce que l’ayahuasca peut provoquer une pharmaco dépendance?

Cette question fait rire les Indiens; c’est absolument impossible disent-ils. C’est plutôt le contraire car une des caractéristiques de l’ayahuasca est de produire chaque fois une plus grande résistance à sa consommation.

Ceci est dû à son goût très amer, ses effets purgatifs fréquents et de mal être général et aussi la peur que suscite la réflexion personnelle, chaque fois plus profonde, sur son psychique et sa mémoire.

La pharmaco dépendance a quatre critères : dépendance physique, dépendance psychologique, tolérance, et syndrome d’abstinence.

La consommation de l’ayahuasca ne répond à aucun de ces quatre critères. L’ayahuasca n’est pas une substance stimulante ni narcotique; il ne contient aucune substance opiacée ou du groupe des xanthines.

L’ayahuasca est une substance médicinale ayant des effets thérapeutiques définis incluant son action psycho active. Si le chaman persiste à le consommer c’est parce que l’ayahuasca est son outil principal pour le diagnostic et le traitement des maladies. Durant son apprentissage, il a compris que devenir un médecin indigène impliquait de mener une vie de rigueurs et de sacrifices ce qu’il a accepté car il est un « appelé ».

C’est pour lui une vocation authentique. Dans le contexte indien, nous ne pouvons pas dire que les gens prennent l’ayahuasca par plaisir; ce serait se tromper. Ce que les gens recherchent c’est la médecine indigène intégrale pour les bénéfices qu’elle leur procure d’une fois à l’autre (et plusieurs d’entre eux, incluant des chamans, ne dévalorisent pas l’importance et les bienfaits de la médecine moderne car ils savent que leur propre médecine a aussi ses limites).

Donc ce n’est pas que les gens sont dépendants de l’ayahuasca sinon qu’ils ont la bonne habitude de faire appel à leur médecine traditionnelle. La même chose se produit dans la culture occidentale quand on a recours à répétition au médecin moderne même si ses remèdes ne sont pas toujours agréables à prendre et que ses injections sont douloureuses.

La récupération de la médecine indienne

Les Indiens du piémont amazonien, qui composent les «peuples de l’ayahuasca », ont pris conscience de certains problèmes graves inhérents à leur médecine et à l’utilisation de l’ayahuasca.

En voici la liste :

le trafic d’ayahuasca, de plantes médicinales et d’autres ressources génétiques propres à leur patrimoine;

l’enregistrement de brevets et de droits de propriété intellectuelle pour l’ayahuasca et autres plantes;

la perte de la transmission de connaissances parmi les jeunes des communautés;

la décontextualisation de la médecine indienne et sa plante sacrée;

la perte de la culture indigène et des territoires nécessaires pour le développement authentique de la médecine traditionnelle.

Pour toutes ces raisons, ils ont entamés un processus de récupération, de défense et de raffermissement de la médecine indigène. En 1999 se sont réunis en Colombie, dans le village de Yurayaco (Caquetá), 40 des derniers Taitas (anciens, sages) authentiques appartenant à sept villages indiens différents. Ils ont crée l’Union des Médecins Indigènes Yageceros de l’Amazonie Colombienne (UMIYAC); ils ont nommés leurs autorités traditionnelles et leurs représentants devant le monde occidental et ils ont initié un processus ardu de purification de leur médecine. Une année plus tard, ils ont rédigé un code d’éthique de la médecine indigène qu’ils on nommé : La Pensée des Anciens.

Avec ce document, ils offrent au monde moderne un dialogue interculturel pour l’étude et le respect de leur médecine, et de même, des indices important sur comment distinguer un chaman authentique d’un charlatan. Durant ces années ils se sont réunis avec dix autres peuples indiens du piémont en Équateur et au Pérou, initiant chez chacun des processus de réunions des chamans pour pouvoir conjointement offrir au monde entier une médecine qui peut aider à résoudre des problèmes que la médecine moderne n’a pas encore réussi à solutionner.

Chez la médecine moderne il est presque impossible de contrôler la mauvaise pratique professionnelle, le charlatanisme et le mercantilisme. La même chose se produit chez la médecine indienne. Les chamans authentiques, unis et bien organisés, pourront fixer des règles et des orientations sûres sur les véritables médecins indiens et susciter le contexte adéquat pour que les gens puissent avoir accès à l’ayahuasca et à leurs pratiques de guérison.

Publié dans AYAHUASCA

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